POURQUOI UNE NOUVELLE REVUE ?

La question est légitime : pourquoi une nouvelle revue d’histoire économique ? Le pari peut paraître osé, quand l’on sait l’érosion constante, depuis vingt ans au moins, du lectorat des revues de sciences humaines et sociales de langue française. A coup sûr, l’attrait pour les revues anglo-saxonnes, qui trônent en tête des ranking internationaux n’y est pas pour rien : le « publish or perish » s’accompagne en effet d’une hiérarchisation de plus en plus strictes des supports de publication, qui, peu à peu, gagne l’ensemble des sciences humaines, au premier rang desquelles l’histoire, après avoir conquis leurs homologues sociales. Il faut tenir compte aussi du recul de la francophonie, de plus en plus mal défendue par la France elle-même, y compris son administration. C’est pourquoi, en histoire économique, aujourd’hui la défense de la recherche francophone ne peut plus s’identifier totalement au combat en faveur du français.

Le propos de la présente revue n’est donc pas de ne publier que des travaux en français, ni non plus ne présenter que des travaux portant sur la France et sur l’espace francophone. Certes les travaux en français seront les bienvenus, de même que ceux que ceux portant sur la France et l’aire d’influence de sa langue. Néanmoins l’objectif est d’abord d’accueillir la recherche francophone et de favoriser, dans l’aire francophone en priorité, mais pas seulement, les travaux de pointe de la recherche mondiale et, singulièrement, européenne. Cela suppose d’accueillir des textes en anglais, aujourd’hui devenu, qu’on le veuille ou non, la langue universelle de l’histoire économique. Cela implique aussi un important travail de traduction pour faciliter au mieux, selon les standards internationaux, la circulation entre les deux langues (notamment par le jeu de résumés ou abstracts assez longs et, le cas échéant, grâce à des introductions bilingues). Cependant et sachant que le lecteur est toujours sensible l’homogénéité d’un numéro, la pratique adoptée sera celle de varia plutôt en français et de numéros spéciaux plutôt en anglais. Toutefois, sauf exception, les rubriques autres que les articles seront présentées en français, à l’instar du numéro un.

Ces rubriques seront, à l’exemple de ce que pratiquent certaines revues françaises de bon aloi, d’abord la présentation de documents originaux de première main, la retranscription d’un débat entre spécialistes ou l’analyse critique d’un ouvrage jugé exceptionnellement important pour la discipline, deux ou trois comptes rendus d’ouvrages récents, à quoi s’ajoutera la présentation d’un fonds d’archives susceptible de permettre des recherches neuves ainsi que l’indication des manifestations scientifiques majeures à venir dans l’horizon proche d’une année environ. Enfin la pratique de résumés bilingues français-anglais (une troisième langue n’est pas exclue dans certaines circonstances) et des biographies brèves, mais précises et explicites, viendra compléter le contenu de tels numéros.

Le champ couvert par la revue ressort avant tout de l’histoire économique générale, en acceptant une très large ouverture aux approches les plus variées : l’économétrie rétrospective (ou « cliométrie ») y aura donc toute sa place aux côtés de travaux plus classiquement institutionnalistes. De même, la business history –dans ses différentes expressions- y a toute sa place. Il en va de même de l’histoire du travail, de l’histoire sociale de la consommation, de celle des élites économiques ou encore de l’histoire de la pensée économique et sociale. Loin de se limiter aux seuls historiens au sens strictement disciplinaire du terme, la revue accueillera les recherches d’histoire des sciences et des techniques, voire d’architecture et d’urbanisme, comme celles, de nature historique, émanant des économistes, des gestionnaires,, des sociologues et même des géographes ou des philosophes

Par ailleurs, même si l’histoire des mondes contemporains occupera une place majeure, il ne saurait être question d’en tenir à l’écart les travaux concernant l’antiquité, le moyen-âge ou les mondes modernes, voire la préhistoire. Cette ouverture vaut aussi pour les aires culturelles, dont aucune n’est exclue, même si une part très importante des textes publiés concernera les mondes occidentaux. C’est ainsi que, je l’espère, la nouvelle revue pourra combler l’absence, dans le champ de l’histoire économique, d’une revue française d’histoire, un champ que n’occupent plus, à ce jour, d’autres revues anciennes et prestigieuses.

Dominique Barjot
(Professeur émérite d’Histoire économique contemporaine à Sorbonne Université)